Mardi soir.
Les saignements de l’hématome, qui s’étaient un peu calmés, reprennent de plus belle, accompagnés de douleurs dans l’utérus. Madame Pimpin passe la soirée allongée, la journée de travail a été plus que dure, les gens ne comprennent pas ces absences à répétition, il faut compenser le retard et anticiper celui dont découlera la perte du bébé. 17h piles, Madame Pimpin quitte son bureau pour aller faire sa prise de sang. Marre de devoir aller au labo dès le matin, marre des conversations des vieux, marre des femmes enceintes béates. Madame Pimpin serre les fesses à tous les feux rouges, le labo arrête les prélèvements à 17h30. 17h32, Madame Pimpin se gare. Elle rentre dans le labo, la secrétaire lui prend son ordonnance et ne chipote pas sur les deux minutes de retard. Faut dire que là aussi, Madame Pimpin est VIP maintenant. L’infirmière qui fait les prises de sang est de dos. Tiens c’est une nouvelle, Madame Pimpin ne l’a jamais vue. Elle se retourne pour appeler Madame Pimpin. Les boutons de la blouse blanche sont tendus sur un petit ventre de cinq mois environ. Madame Pimpin serre les dents et s’assoit, le bras tendu. L’infirmière lui demande la date des dernières règles. 28 janvier, ça n’a pas changé. L’infirmière hausse les sourcils et demande à Madame Pimpin la raison de ce dosage. Madame Pimpin a beau serrer les dents, elle ne voit que le ventre de l’infirmière, cette question est stupide, elle ne répond pas, et ne parvient pas à retenir une larme qui heureusement roule du côté opposé à l’infirmière. Après lui avoir charcuté les bras pendant un bon quart d’heure, l’infirmière réussit enfin à extraire son flacon de sang. Madame Pimpin rentre chez elle, très fatiguée, s’endort à 21h et rêve de deux gros papillons noirs, morts.
Mercredi matin.
Les saignements, très abondants au réveil, se sont presque arrêtés. Toujours des douleurs dans l’utérus. Madame Pimpin pense à la petite Chose. 10h, toujours pas de résultats sur le site du labo. 11h, toujours rien. Madame Pimpin commence à angoisser, elle n’arrive a rien faire d’autre que surveiller cette putain de page internet. 11h45, Madame Pimpin hésite à rafraîchir la page, il ne reste plus que 30 minutes avant la pause déjeuner. Tant pis, elle clique. La page charge. Le taux est de 953. C’est fini. La petite Chose est éteinte. Madame Pimpin n’a que trente minutes pour encaisser puis se mêler aux autres pour aller déjeuner. Elle n’arrive pas à pleurer, elle se sent anesthésiée, elle a juste envie de vomir. Le temps est comme suspendu. A la cantine, elle donne le change, parle peu mais personne ne remarque le malaise à part Madame Poulette qui est au courant. Le reste de la journée passe, Madame Pimpin sait ce qu’elle a à faire, elle anticipe son absence, il n’est pas question de revenir le lendemain.
Mercredi soir.
17h, Madame Pimpin quitte son bureau, ses affaires sont en ordre, son chef est au courant qu’elle se tire. Elle arrive au cabinet médical, désert. La secrétaire la salue en l’appelant par son prénom. Elle patiente une petite demi-heure. Une femme enceinte sort du bureau du Docteur Colley. Madame Pimpin ne lève pas la tête plus haut que son ventre, ne croise aucun regard. Le Docteur Colley vient la chercher. Il est bien embêté. Il réexplique à Madame Pimpin ce qu’elle sait déjà, l’effet « tout ou rien » du Méthotrexate, la cinétique des b-hcg qui indique que la grossesse n’aurait pas évolué, qu’elle soit bien placée ou non. Il regarde l’écho de la gynéco des urgences, conclut que la taille du sac, et ça Madame Pimpin le sait bien, ne correspond pas à la date de sa grossesse. Il fait l’écho, la petite Chose est toujours là mais elle n’a pas évolué (tu penses bien). Madame Pimpin explique au Docteur Colely qu’elle est en paix avec cette histoire de GEU. Elle lui dit qu’elle est juste très triste, et très fatiguée. Elle lui annonce qu’elle ne reviendra pas après le RDC, que les stimulations et les inséminations attendront la fin de l’été. Il est d’accord avec cette décision, il l’a toujours été. Ils échangent un sourire triste, le Docteur Colley se lève et Madame Pimpin lui demande l’arrêt pour deux jours. Puis elle rentre chez elle. S’effondre à 21h, souffrant le martyre dans sa tête et dans son ventre. Les crampes l’empêchent parfois même de respirer.
Jeudi matin.
Madame Pimpin est réveillée tôt mais ne veut pas se lever. Elle a mal. Elle sait ce qui arrivera quand elle se lèvera. Une heure ou deux passent, les douleurs sont trop fortes, Madame Pimpin se lève en pleurant. Aux toilettes, elle voit tout le sang, et elle voit la petite Chose. Elle se nettoie et retourne s’allonger. Triste, désemparée. Oui c’est mieux comme ça, hein. C’est sûr, Madame Pimpin n’aura pas besoin de décider de mettre fin à la grossesse. Madame Pimpin n’aura pas besoin de se déranger à élever un enfant « anormal », applaudissons cette immense complaisance de la nature. Remercions la vie, de faire des cadeaux pareils. Oui c’est tellement plus facile comme ça.
Jeudi soir.
Les crampes se sont espacées, le sang coule toujours, mais beaucoup moins abondamment. Madame Pimpin se sent vide, absente de son corps. Le téléphone de Monsieur Pimpin sonne, il répond. Madame Souris va probablement accoucher dans la nuit. Ironique, non.
Madame Pimpin va maintenant prendre du temps pour elle. Ce blog lui a beaucoup apporté et elle s’est attachée à toutes ces belles personnes rencontrées virtuellement depuis le mois d’octobre. Mais aujourd’hui elle a besoin de prendre de la distance avec tout cet acharnement et ce serait impossible en continuant. Peut-être que ça prendra juste une ou deux semaines, mais peut-être, et c’est ce qu’elle espère, que quelques mois s’écouleront avant qu’elle ne revienne à la case PMA, et qu’elle ne revienne à son blog. Elle n’arrive plus à écrire, même cet article ne sort que poussivement. Elle n’arrive plus à absorber les chagrins, elle n’arrive plus à se réjouir des bonnes nouvelles. Il va falloir penser à autre chose le temps de se réparer. Revivre, juste. Elle espère que tu comprendras, que toi qui viens de subir une perte, comme elle, tu retrouveras vite cet espoir, qu’il grandira en toi et que bientôt tu verras battre un petit coeur à l’écho. Elle espère que toi, qui attend ton tour, tu n’auras plus longtemps avant de voir ta patience forcée récompensée. Elle espère que toi, qui porte la vie, tu trouveras un peu de paix jusqu’à la naissance de ton petit et que tout ira bien. Il n’y aura peut-être pas de « saison 2 » mais elle espère ne pas tout à fait te perdre de vue, car des liens forts se sont créés et elle continuera de prendre de tes nouvelles discrètement. Elle t’embrasse bien fort et te souhaite force, courage et chance.