Ce soir les Pimpin se sont rendus de concert à la dernière écho de contrôle de cette stim pour IAC. Madame Pimpin en avait ras la casquette de se coltiner les heures d’attente toute seule. L’auguste présence de Monsieur Pimpin s’est vue honorée de paramètres plutôt pas mal :
J11, un follicule à 18,5 mm et un endomètre à 8 mm, des taux nickel, et une planification d’IAC samedi midi qui devrait tomber pile au bon moment.
Sauf que ça a été un peu plus dur que prévu.
Dans la salle d’attente, un couple est arrivé juste après les Pimpin. Ca n’a pas empêché que le Caméléon les appelle en premier. Un couple d’environ 35 ans. Je te préviens je vais bitcher. Hem. J’y vais, bouche-toi les oreilles. Des putain de cassos, en limite d’obésité morbide, sapés comme des ploucs, parlant trop fort, sans pochette (pas de pochette = pas de pma), et en prime le type empestait le tabac. bref des gros beaufs bien moches.
Pendant qu’ils étaient en consultation, une jeune femme est sortie du cabinet d’en face en larmes. Ca a forcément rappelé de mauvais souvenirs à Madame Pimpin. Elle a eu envie de courir dans le couloir pour la réconforter comme elle pourrait, mais elle s’est bien souvenue qu’elle, quand elle sort en pleurant de chez le gynéco, elle pourrait être très méchante avec quiconque lui adresserait la parole. Alors elle s’est abstenue, ce qui tombait bien puisque les cassos sont sortis peu de temps après, mais quelque chose s’était abîmé.
Les Pimpin prennent place. Ils sont les derniers, le Caméléon s’éclipse un instant pour éteindre et fermer la salle d’attente. En passant devant la petite salle d’écho, ils constatent que l’écran est toujours allumé. Monsieur Pimpin lance un « tiens, un follicule sur l’écran, tu vois eux aussi ils galèrent, c’est mal d’avoir dit du mal d’eux ».
Mouais. Un follicule. Madame Pimpin, gynéco de son état, capte en une fraction de seconde qu’il s’agit bel et bien d’un follicule, mais un follicule fécondé d’environ 8 SA. Elle lui répond sèchement que c’est un bébé. Et ça lui flingue le moral à Madame Pimpin.
Le Caméléon revient, on cause oestradiol, lh, tout ça, et on passe à l’écho. Il règle son matériel, c’est interminable. L’écran affiche toujours ce bébé d’une autre, cette image que Madame Pimpin connait bien, mais qu’elle n’a eu le droit de voir jusqu’ici que pour regarder des absences de vie. Là, sous ses yeux, le début de vie d’une AUTRE, ce qu’elle désire tant voir un jour, ce qu’elle ne verra peut-être jamais, cette image dont elle rêve obsessionnellement à chaque putain de nuit qui passe depuis plus de deux ans. C’est dégueulasse. Les paramètres sont affichés à l’écran. C’est bien 8SA mais la future maman, primipare et primigeste, n’a que 28 ans. Mazette.
Pendant tout le reste du RDV, Madame Pimpin a tiré une tronche de six pieds de long. Elle n’a pas desserré la mâchoire. OK le Caméléon n’a pas fait exprès, à 20h du soir un jour lambda il pense à autres chose qu’à « ne pas remémorer à la patiente N°28 qu’elle a fait deux fausses couches il y a deux ans et un an, et ne pas lui rappeler qu’elle vit sous une épée de damoclès« . Il n’est pas là non plus pour gérer les conflits d’agenda entre les secrétaires, ni pour s’occuper de la mise en oeuvre des formalités administratives. Bien sûr qu’il est juste là pour obtenir un follicule à 18,5 mm et un endomètre à 8 mm, des taux nickel, et une planification d’IAC samedi midi qui devrait tomber pile au bon moment. Il est là pour ça et il le fait bien.
Mais ce soir, alors qu’elle était cul-nu sur le fauteuil d’écho, la vue de cette image lui a défoncé le coeur, l’a brisé en mille morceau, et à fait couler des larmes bien amères sur ses joues, que personne n’a remarqué dans la pénombre.
Un autre jour, avec moins de fatigue, peut-être même hier, Madame Pimpin y aurait peut-être à nouveau vu un joli signe. Signe que la prochaine fois qu’elle prendrait place sur ce fauteuil, ce ne serait ni pour voir un follicule ni pour voir une absence de vie. Mais, ce soir, c’était un peu dur.
Sur ce, Madame Pimpin s’en va mettre une claque à son calendrier de l’avent, et patienter jusqu’à minuit pour faire entrer l’ovitrelle en scène.